Karamokho Alfa

Prénom
Ibrahima Musa
Nom
Sambeghu
Date de naissance
Date de décès
Pays de naissance
Guinée
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Karamokho Alfa, né sous le nom d'Ibrahima Musa Sambeghu, fut une figure majeure de l'histoire ouest-africaine du XVIIIe siècle. Chef religieux peul et premier dirigeant de l'Imamat du Fouta-Djalon dans l'actuelle Guinée, il initia l'un des premiers jihads peuls qui aboutirent à la création d'États musulmans en Afrique de l'Ouest.

Contexte historique et origines

Le contexte de son ascension s'inscrit dans les dynamiques complexes du Fouta-Djalon du XVIIe et début du XVIIIe siècle. Cette région montagneuse, source des fleuves Sénégal et Gambie, était initialement peuplée d'agriculteurs soussous et yalunkas avant l'arrivée progressive des pasteurs peuls au XVe siècle. Ces derniers s'installèrent d'abord pacifiquement sur les plateaux, acceptant une position subordonnée aux populations locales.

L'établissement de comptoirs commerciaux européens sur la côte guinéenne au XVIIe siècle bouleversa les équilibres régionaux. Le développement du commerce des peaux et des esclaves incita les Peuls pasteurs à accroître leurs troupeaux et à entrer en compétition territoriale avec les agriculteurs. Leurs contacts avec les commerçants musulmans renforcèrent également leur islamisation.

L'influence du mouvement réformateur Zawāyā de Nasir al-Din dans le Fouta Toro voisin, bien que militairement vaincu en 1677, fut déterminante. La migration vers le sud de certains membres du clan clérical Torodbe, apparentés aux Peuls du Fouta-Djalon, contribua à la diffusion d'un islam plus militant dans la région.

Le lancement du jihad

Le père de Karamokho Alfa, Alfa Ba, forma une coalition de Peuls musulmans et appela au jihad en 1725, mais décéda avant le début des hostilités. C'est son fils qui reprit le flambeau lorsque le jihad fut lancé vers 1726-1727. Ce mouvement, principalement religieux, rassembla des marabouts peuls et mandés, ainsi que des Peuls non-musulmans qui y voyaient un moyen de s'émanciper de la tutelle mandé.

Un moment décisif survint en 1727 lorsqu'Ibrahim Sori, cousin de Karamokho Alfa, marqua symboliquement le début de la guerre en détruisant le grand tambour cérémoniel des Yalunkas. La bataille cruciale de Talansan, où 99 musulmans vainquirent une force dix fois supérieure, consolida le mouvement. Suite à cette victoire, neuf oulémas peuls représentant chacun une province du Fouta-Djalon se réunirent et élurent Karamokho Alfa comme leader du jihad, lui conférant le titre d'almami (imam).

Leadership et organisation de l'État

En tant que dirigeant héréditaire de Timbo et chef religieux respecté, Karamokho Alfa sut mobiliser divers groupes sociaux, notamment des jeunes hommes marginalisés, des hors-la-loi et des esclaves. Bien que leader spirituel inspiré, il délégua le commandement militaire à son cousin Ibrahim Sori, plus qualifié dans ce domaine.

L'État qu'il fonda était structuré de manière décentralisée. Karamokho Alfa, basé à Timbo (capitale politique), gouvernait directement le diwal (province) de Timbo, tandis que Fugumba servait de capitale religieuse où siégeait le conseil des oulémas. Cette structure fédérale limitait considérablement son pouvoir, chaque ouléma conservant une large autonomie dans sa province.

Sa gouvernance fut marquée par un respect des droits traditionnels. Il maintint notamment les droits des anciens "maîtres de la terre", tout en instaurant le paiement de la zakat comme forme de redevance. Cette approche pragmatique facilita l'acceptation du nouveau régime, même si certains groupes, particulièrement les Peuls nomades, résistèrent longtemps à la conversion.

Fin de règne et héritage

Les dernières années du règne de Karamokho Alfa furent marquées par l'instabilité. En 1748, ses dévotions excessives affectèrent sa santé mentale, conduisant à la désignation d'Ibrahim Sori comme leader de facto. À sa mort vers 1751, son fils Alfa Saliu, trop jeune, ne put lui succéder, et Ibrahim Sori devint officiellement le nouvel almami.

L'héritage de Karamokho Alfa est considérable. Il établit le premier État musulman peul d'Afrique de l'Ouest, ouvrant la voie à d'autres jihads peuls comme celui du Fouta Toro (1769-1776) et celui d'Usman dan Fodio qui créa le Califat de Sokoto en 1808. Son État contribua à l'expansion de l'influence peule, faisant des Peuls le groupe ethnique majoritaire de la Guinée actuelle (40% de la population).

Sa sainteté présumée perdura dans la mémoire collective, comme en témoigne la légende du miracle de son tombeau. Plus d'un siècle après sa mort, on raconte que lorsque le chef Kondé Buraima profana sa tombe en coupant sa main gauche, du sang jaillit du poignet sectionné, provoquant la fuite terrifiée du profanateur.

Karamokho Alfa incarna ainsi la figure du leader religieux réformateur, capable de transformer profondément les structures sociales et politiques de sa région tout en maintenant un certain équilibre entre tradition et changement. Son œuvre posa les fondements d'une nouvelle organisation politique et sociale qui influença durablement l'histoire de l'Afrique de l'Ouest.