
Thierno Saïdou Diallo, plus connu sous le nom de Tierno Monénembo, est un écrivain guinéen francophone né en 1947 à Porédaka, lauréat du prestigieux prix Renaudot en 2008 pour "Le Roi de Kahel" et du Grand Prix de la Francophonie en 2017 pour l'ensemble de son œuvre. Contraint de fuir à pied la dictature d'Ahmed Sékou Touré en 1969, cet intellectuel peul a transformé son expérience d'exil en une force créatrice, obtenant un doctorat en biochimie en France avant de se consacrer à la littérature.
Auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont "Les Crapauds-brousse", "Peuls" et "Le Terroriste noir", il explore avec un style alliant gravité et légèreté les thèmes de l'exil, l'impuissance des intellectuels africains, l'histoire coloniale et les mémoires africaines oubliées. Intellectuel engagé, il n'hésite pas à critiquer les régimes autoritaires et à défendre l'éducation comme pilier fondamental du développement africain, s'imposant comme une voix majeure de la littérature africaine contemporaine, capable de tisser des liens entre les histoires individuelles et les grandes questions historiques et politiques du continent.
De la Guinée à l'exil
Né en 1947 à Porédaka en Guinée, Thierno Saïdou Diallo, connu sous le nom de plume Tierno Monénembo, est l'une des voix les plus emblématiques de la littérature africaine francophone contemporaine. Fils d'un fonctionnaire guinéen, rien ne prédestinait ce jeune Peul à devenir l'un des écrivains africains les plus respectés de sa génération.
Son destin bascule en 1969, lorsqu'à l'âge de 22 ans, il est contraint de fuir la dictature d'Ahmed Sékou Touré, alors président de la Guinée indépendante. Ce régime, particulièrement violent envers les intellectuels et certaines ethnies comme les Peuls, pousse le jeune homme à l'exil. Il traverse à pied la frontière vers le Sénégal, première étape d'un long parcours qui forgera son identité d'écrivain.
Tierno Monénembo poursuit ensuite sa route vers la Côte d'Ivoire en 1970, avant de s'installer en France en 1973, à Grenoble d'abord, puis à Lyon. C'est dans cette ville qu'il obtient un doctorat en biochimie, discipline qu'il enseignera plus tard au Maroc et en Algérie. Cette trajectoire d'exil, marquée par les déplacements et les ruptures, deviendra une source d'inspiration majeure dans son œuvre littéraire.
Comme il le confiera lui-même lors d'une interview à Grenoble en 2017 : « L'exil est un poison, être arraché à sa terre est une souffrance. C'est l'exil qui a fait de moi un écrivain. »
Œuvre littéraire reconnue et primée
La carrière littéraire de Tierno Monénembo débute en 1979 avec la publication de son premier roman, « Les Crapauds-brousse », aux éditions du Seuil. Ce texte inaugural pose déjà les jalons des thématiques qu'il explorera tout au long de sa carrière : l'impuissance des intellectuels africains face aux défis du continent, la difficulté de la vie des Africains en exil, et les questionnements identitaires qui en découlent.
Son deuxième roman, « Les Écailles du ciel » (1986), est récompensé par le Grand prix littéraire d'Afrique noire, marquant le début d'une reconnaissance critique qui ne cessera de s'amplifier. Au fil des années, il publie une œuvre riche et variée, alternant entre récits intimistes et fresques historiques :
- « Un rêve utile » (1991)
- « Un attiéké pour Elgass » (1993)
- « Pelourinho » (1995), où il explore les liens entre l'Afrique et sa diaspora au Brésil
- « Cinéma » (1997)
- « L'Aîné des orphelins » (2000), né d'un projet d'écriture sur le génocide rwandais
- « Peuls » (2004), fresque historique sur le peuple peul
- « La Tribu des gonzesses » (2006), son incursion dans le théâtre
- « Le Roi de Kahel » (2008), qui lui vaut le prestigieux prix Renaudot
- « Le Terroriste noir » (2012), consacré par le Prix Erckmann-Chatrian, le Grand prix du roman métis et le prix Ahmadou-Kourouma
- « Les coqs cubains chantent à minuit » (2015)
- « Bled » (2016)
- « Saharienne Indigo » (2022), récompensé par le Prix Moussa Konaté
La consécration arrive en 2017 lorsqu'il reçoit le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre, reconnaissant ainsi sa contribution majeure à la littérature francophone mondiale.
Œuvre aux multiples facettes
L'œuvre de Tierno Monénembo se caractérise par un style unique, alternant gravité et légèreté, et mêlant ironie et satire pour aborder des sujets souvent difficiles. Dans ses romans, l'écrivain revisite l'histoire africaine, donnant voix aux récits oubliés et aux figures méconnues.
« Le Roi de Kahel » (2008), qui lui vaut le prix Renaudot, illustre parfaitement cette démarche. Le roman raconte l'histoire d'Aimé Olivier de Sanderval, un explorateur français fasciné par la civilisation peule, qui tente de se tailler un royaume dans le Fouta-Djalon à la fin du XIXe siècle. À travers ce récit, Monénembo revisite l'histoire coloniale sous un angle original, mettant en lumière les complexités des relations entre colonisateurs et colonisés.
« Le Terroriste noir » (2012) s'inspire quant à lui de la vie d'Addi Bâ, un résistant guinéen pendant la Seconde Guerre mondiale en France. Ce roman, adapté au cinéma sous le titre « Nos Patriotes » (sorti en 2017), témoigne de la volonté de l'auteur de faire connaître des pages méconnues de l'histoire africaine et de ses liens avec l'Europe.
Dans « Peuls » (2004), l'écrivain s'intéresse à l'histoire de son propre peuple, les Peuls, présents dans quinze pays africains et comptant près de 30 millions de personnes. Cette œuvre monumentale retrace l'épopée d'un peuple nomade sillonnant l'Afrique depuis des millénaires.
Intellectuel engagé
Au-delà de son œuvre littéraire, Tierno Monénembo s'est imposé comme une voix critique importante sur la scène politique africaine. Il n'a jamais cessé de dénoncer les dérives autoritaires dans son pays natal et sur le continent.
Suite au coup d'État militaire du 23 décembre 2008 en Guinée, qui a porté au pouvoir la junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara, il prend fermement position contre ce régime. Après le massacre de plus de 150 civils par l'armée le 28 septembre 2009 à Conakry, il publie dans Le Monde une tribune intitulée « Guinée, cinquante ans d'indépendance et d'enfer », condamnant ces tueries et appelant la communauté internationale à agir.
Plus récemment, il s'est opposé au régime d'Alpha Condé, qu'il accuse d'avoir organisé des élections truquées. Sa critique s'étend également aux relations néocoloniales entre la France et l'Afrique, qu'il qualifie de sulfureuses : « L'Afrique est réduite à un dilemme incontournable, elle est toujours victime ou complice d'un pouvoir préétabli », déclarait-il lors d'une interview en 2017.
En 2024, dans une analyse percutante, il critique les choix des premiers dirigeants africains d'avoir privilégié le développement économique immédiat au détriment de l'éducation : « Nos tout premiers dirigeants ont commis une grave erreur : ils ont tout de suite parlé de développement au lieu de parler d'éducation. » Pour lui, l'éducation reste « la condition sine qua non du développement » et le pilier pour construire un avenir meilleur pour l'Afrique.
Écrivain entre deux mondes
Bien qu'installé en France depuis plusieurs décennies, Tierno Monénembo maintient des liens forts avec le continent africain. Son attachement à ses racines et sa conscience aiguë des enjeux contemporains en font un médiateur culturel important entre l'Europe et l'Afrique.
En mai 2024, l'écrivain a vécu un drame personnel lorsque son ordinateur, contenant le manuscrit d'un roman intitulé « Enfance 4 » sur lequel il travaillait depuis trois ans, a été volé à son domicile à Sonfonia-Bonfi en Guinée. Ce manuscrit, qui devait être publié en janvier 2025, racontait son enfance « dans une période charnière, qui est celle de l'indépendance guinéenne et des Indépendances africaines en général ». Malgré ses appels et la mobilisation d'un collectif qui envisageait même d'adresser une lettre ouverte au président Mamadi Doumbouya, le manuscrit n'a pas été retrouvé à ce jour.
Cet incident soulève des questions sur les conditions de travail des écrivains africains et les défis auxquels ils sont confrontés, même lorsqu'ils jouissent d'une reconnaissance internationale.
Héritage littéraire durable
À travers son œuvre riche et variée, Tierno Monénembo s'est imposé comme l'une des voix les plus marquantes de la littérature africaine francophone. Son style unique, caractérisé par une alternance entre gravité et légèreté, a su captiver un large public et la critique littéraire internationale.
En décembre 2024, l'avocat burkinabè Maître Arnaud Ouedraogo lui rendait un vibrant hommage, le qualifiant d'« écrivain visionnaire et infatigable défenseur de la justice, de la vérité et de la liberté » et de « luciole dans la nuit, une lampe frontale pour les générations actuelles et futures ».
La force de l'œuvre de Monénembo réside dans sa capacité à transcender les frontières géographiques et culturelles, pour aborder des thèmes universels comme l'exil, l'identité, la mémoire et la résilience. À travers ses récits, où la petite histoire rejoint souvent la grande, il contribue à enrichir notre compréhension du monde et des relations complexes entre l'Afrique et l'Europe.
En janvier 2025, un critique littéraire le décrivait comme « un écrivain au carrefour des mémoires africaines », soulignant que « son œuvre, à la fois enracinée dans le passé et tournée vers l'avenir, offre une réflexion universelle sur la condition humaine, l'exil et la résilience ».
Conclusion
À 78 ans, Tierno Monénembo demeure une figure intellectuelle majeure du paysage francophone. Son parcours, de la Guinée natale à la reconnaissance internationale, illustre la richesse et la complexité des trajectoires africaines contemporaines. À travers une œuvre littéraire puissante et engagée, il continue d'explorer les zones d'ombre de l'histoire et de donner voix aux récits oubliés.
Comme l'écrit si justement Maître Arnaud Ouedraogo dans son hommage : « Dans un monde qui pousse à s'envelopper du manteau du silence et de la complaisance, vous avez choisi les mots comme armes et la littérature comme terrain de lutte pour un idéal d'humanité et de fraternité. »
Cette biographie de Tierno Monénembo témoigne du parcours exceptionnel d'un homme qui a su transformer l'expérience douloureuse de l'exil en une œuvre littéraire universelle, faisant de lui l'un des écrivains africains les plus importants de sa génération.