
Oyé Lamah Guilavogui est un homme politique guinéen qui s'est distingué par sa longévité exceptionnelle au sein du gouvernement sous la présidence d'Alpha Condé (2010-2021). Ancien fonctionnaire à la Direction Nationale des Impôts, il a occupé successivement les postes de ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l'Information, ministre des Transports, puis ministre de l'Environnement, des Eaux et Forêts. Son parcours est marqué par plusieurs controverses notoires, notamment l'échec de la relance de la Sotelgui, des accusations de népotisme, et son refus catégorique d'être nommé au ministère de l'Élevage.
Après le coup d'État du 5 septembre 2021 qui a renversé Alpha Condé, Oyé Guilavogui a été poursuivi par la justice guinéenne pour enrichissement illicite et détournement de deniers publics, avec des montants considérables en jeu, et a été autorisé à quitter le pays pour des soins médicaux en Tunisie en novembre 2023, une évacuation qui a elle-même suscité des controverses.
Introduction
Oyé Lamah Guilavogui est une figure politique guinéenne dont le parcours a été marqué par une longévité remarquable au sein du gouvernement, mais également par des controverses et des poursuites judiciaires. Son histoire illustre les complexités de la vie politique en Guinée au cours des années 2010-2020.
Origines et début de carrière
Originaire de Macenta en région forestière de Guinée, Oyé Guilavogui a commencé sa carrière professionnelle à la Direction Nationale des Impôts. Son parcours politique prend un tournant décisif lorsqu'il fait la connaissance d'Alpha Condé en prison. En effet, selon certaines sources, Oyé Guilavogui aurait été condamné à trois ans d'emprisonnement pour détournement de fonds publics alors qu'Ibrahima Kassory Fofana était ministre des Finances. C'est pendant cette période d'incarcération qu'il rencontre Alpha Condé, alors prisonnier politique, avec qui il développe des liens d'amitié, lui apportant notamment un soutien financier régulier.
Ascension politique
Après l'accession au pouvoir d'Alpha Condé en 2010, Oyé Guilavogui est nommé à des postes ministériels importants :
- Ministre des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l'Information dans les gouvernements Mohamed Saïd Fofana I et II (2010-2015)
- Ministre des Transports dans le gouvernement Youla (2015-2018)
- Ministre de l'Environnement, des Eaux et Forêts dans le gouvernement Kassory (juin 2020 - septembre 2021)
Cette longévité exceptionnelle au sein de différents gouvernements, qu'il attribue lui-même à "la confiance du chef de l'État", fait de lui l'un des ministres les plus durables sous la présidence d'Alpha Condé.
Affaire Sotelgui et les promesses non tenues
L'un des dossiers les plus marquants de son passage au ministère des Télécommunications concerne la Société des Télécommunications de Guinée (Sotelgui). En janvier 2014, Oyé Guilavogui annonce la relance imminente de cette entreprise publique en difficulté, promettant qu'elle "retrouverait sa position de leader de téléphonie mobile avant fin 2014".
Pour cette relance, le ministre évoque un prêt de 50 millions de dollars auprès d'Eximbank de Chine à un taux concessionnel de 2% sur 17 ans, avec l'équipementier Huawei comme partenaire. Il affirme même que "les premiers conteneurs des équipements de relance et de modernisation sont déjà arrivés au Port Autonome de Conakry".
Cependant, ces promesses ne se concrétisent pas. En juillet 2014, les 1608 travailleurs de la Sotelgui manifestent leur colère contre le ministre, dénonçant le non-respect du protocole d'accord signé pour la régularisation de leur situation. Ce conflit social illustre l'échec de la gestion de ce dossier sensible par Oyé Guilavogui, la Sotelgui n'ayant jamais retrouvé sa position dominante sur le marché guinéen.
Controverses au ministère des Transports
Son passage au ministère des Transports (2015-2018) est également marqué par des controverses. En août 2016, sa décision d'interdire la circulation des taxis-motos dans la capitale Conakry provoque une forte mobilisation des conducteurs. Face à cette contestation, le ministre doit revoir sa position, passant d'une interdiction pure et simple à une promesse de réglementation du secteur.
En janvier 2018, il est accusé de népotisme pour avoir attribué un marché de rénovation des installations de la SOTRAGUI (Société des Transports Guinéens) à son propre fils. Selon des allégations médiatiques, les fonds proviendraient de la vente d'anciens bus de l'ex-SOGUITRANS transformés en ferraille.
Refus du ministère de l'Élevage
Un épisode particulier illustre l'influence dont jouissait Oyé Guilavogui auprès du président Alpha Condé. En 2018, lors d'un remaniement ministériel, il refuse catégoriquement d'être nommé ministre de l'Élevage, déclarant : "Je suis un forestier, je suis très loin des bœufs."
Cette prise de position inhabituelle pour un ministre suscite des commentaires sur ses relations privilégiées avec le pouvoir. Dans un entretien accordé à la presse, il explique : "Là où Aboubacar Sylla refuse, on me demande d'aller là, j'ai dit non". Cette capacité à refuser un poste ministériel témoigne de sa position particulière au sein du régime d'Alpha Condé.
Mministre de l'Environnement
Nommé ministre de l'Environnement, des Eaux et Forêts en juin 2020, Oyé Guilavogui s'engage dans plusieurs initiatives environnementales, notamment des campagnes de reboisement pour lutter contre la déforestation en Guinée.
En juillet 2018, il lance une campagne nationale de reboisement et met l'accent sur la nécessité de préserver la forêt de Demoudoula, qui avait perdu la quasi-totalité de ses 147 sources d'eau en raison de constructions anarchiques. En mai 2019, il annonce un ambitieux programme de reboisement de 1693 hectares pour un montant de plus de 16 milliards de francs guinéens.
Lors d'une conférence de presse en juin 2021, il se montre particulièrement préoccupé par les conséquences environnementales de l'exploitation minière en Guinée, dénonçant notamment la destruction des fleuves à Pita, Siguiri et Boké : "À Boké par exemple, il n'y a plus rien là-bas ! Ce que j'ai vu de mes yeux est inadmissible. À Siguiri également, il n'y a pratiquement plus d'eau potable."
Intervention lors des tensions communautaires à Macenta
En décembre 2020, Oyé Guilavogui est envoyé par le président Alpha Condé à Macenta pour apaiser des tensions intercommunautaires entre les Tomas et les Tomamanias qui avaient fait 11 morts et une trentaine de blessés. À cette occasion, il prononce une déclaration controversée : "Il ne faut pas que Macenta ressemble à Bambéto", faisant référence à un quartier de Conakry connu pour son soutien à l'opposition.
Chute et poursuites judiciaires
La carrière ministérielle d'Oyé Guilavogui prend fin avec le coup d'État du 5 septembre 2021 qui renverse le président Alpha Condé. Le 6 avril 2022, il est placé sous mandat de dépôt à la Maison centrale de Conakry après trois jours d'interrogatoire par la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF). Il est poursuivi pour enrichissement illicite et détournement de deniers publics.
Le 19 mai 2022, il est libéré moyennant une amende de vingt milliards de francs guinéens et placé sous contrôle judiciaire. Cependant, ses problèmes judiciaires ne s'arrêtent pas là.
En novembre 2023, souffrant de problèmes de santé (douleurs abdominales et infections urinaires), il est hospitalisé au CHU Ignace Deen puis autorisé à être évacué vers la Tunisie pour des soins médicaux. Cette évacuation sanitaire suscite des controverses, l'Agent judiciaire de l'État affirmant en mars 2024 qu'Oyé Guilavogui aurait en réalité "rejoint son mentor Alpha Condé en Turquie", ce que ses avocats démentent formellement.
En février 2025, alors que les réquisitions et plaidoiries étaient programmées, la CRIEF ordonne la réouverture des débats dans cette affaire complexe. Les montants en jeu sont considérables : 50 millions de dollars pour la relance de la Sotelgui, 300 millions de dollars pour le backbone national, 94 milliards de francs guinéens pour l'exercice budgétaire 2020 du ministère des Transports, 17 milliards pour celui du ministère de l'Environnement en 2021, et 10 milliards pour un projet de reboisement.
Héritage politique
Le parcours d'Oyé Guilavogui illustre les complexités et les contradictions de la vie politique guinéenne. D'un côté, sa longévité ministérielle témoigne d'une habileté politique certaine et d'une relation privilégiée avec le président Alpha Condé. De l'autre, les nombreuses controverses qui ont jalonné sa carrière et les poursuites judiciaires dont il fait l'objet soulèvent des questions sur sa gestion des affaires publiques.
Son cas s'inscrit dans un contexte plus large de lutte contre la corruption en Guinée, particulièrement après le coup d'État de 2021 qui a vu plusieurs anciens hauts responsables du régime d'Alpha Condé être poursuivis par la justice.
Aujourd'hui, alors que son procès se poursuit, l'histoire d'Oyé Guilavogui reste inachevée, mais elle constitue déjà un chapitre significatif de l'histoire politique récente de la Guinée.