Simandou 2040 : Le mirage d'une prospérité illusoire en Guinée

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La promesse d'un eldorado minier résonne une fois de plus en Guinée, portée par les voix enthousiastes des autorités de la transition. Le projet Simandou 2040, avec ses 1,5 milliards de tonnes de minerai de fer de haute qualité, est présenté comme la clé qui ouvrira enfin les portes de la prospérité au peuple guinéen. Un investissement colossal de 20 milliards de dollars, des infrastructures sans précédent, et la perspective de revenus considérables alimentent les espoirs d'une transformation radicale du pays. Pourtant, derrière ces promesses miroitantes se cache une réalité plus complexe, nourrie par des décennies d'expérience dans l'exploitation minière qui nous incitent à la prudence.

L'histoire minière de la Guinée nous offre un miroir précieux pour examiner les promesses de Simandou. Depuis 1963, la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) exploite les gisements de Boké, faisant de la Guinée le deuxième producteur mondial de bauxite. Les réserves nationales, estimées à 25 milliards de tonnes, représentent la moitié des réserves mondiales. Une richesse naturelle exceptionnelle qui, après plus d'un demi-siècle d'exploitation, n'a pourtant pas transformé significativement le quotidien des Guinéens. Au contraire, les populations locales de Boké, épicentre de cette exploitation, subissent quotidiennement les conséquences néfastes de l'activité minière : dégradation environnementale croissante, réduction dramatique des terres cultivables, pollution atmosphérique persistante et réchauffement climatique local accéléré.

La corruption endémique qui gangrène le secteur minier a systématiquement détourné les revenus qui auraient dû bénéficier à la population. Les infrastructures de base – écoles, hôpitaux, routes – demeurent dans un état déplorable, tandis que la pauvreté persiste et s'aggrave dans certaines régions. Les communautés locales, premières touchées par l'exploitation minière, se retrouvent souvent plus démunies qu'avant le début des opérations. Cette réalité soulève une question cruciale : comment croire que Simandou échappera à ce schéma destructeur ?

Les signaux actuels ne sont guère encourageants. La gouvernance du CNRD n'a pas démontré de rupture significative avec les pratiques du passé en matière de transparence et de lutte contre la corruption. Les négociations autour du projet Simandou, les arrangements entre les différents acteurs – Rio Tinto, Winning Consortium Simandou, et le gouvernement – soulèvent des questions légitimes sur la répartition équitable des bénéfices. L'opacité qui entoure certains aspects des accords rappelle dangereusement les pratiques qui ont conduit à la situation actuelle dans le secteur de la bauxite.

La véritable prospérité de la Guinée ne peut reposer uniquement sur l'exploitation minière, aussi importante soit-elle. Le pays doit urgemment développer d'autres secteurs économiques, à commencer par l'agriculture. La Guinée dispose d'un potentiel agricole considérable avec des terres fertiles et un climat favorable. Le développement de ce secteur pourrait non seulement garantir la sécurité alimentaire du pays mais aussi créer des emplois durables et des revenus stables pour la population rurale. Les investissements dans l'agriculture moderne, la formation des agriculteurs et la création de chaînes de valeur agroindustrielles devraient être aussi prioritaires que les projets miniers.

L'entrepreneuriat local représente une autre voie prometteuse pour la création de richesses et d'emplois. Cependant, son développement nécessite des actions concrètes : la mise en place d'un environnement des affaires favorable, l'accès facilité au financement pour les PME, la formation et l'accompagnement des entrepreneurs, et le développement des infrastructures de base. Ces éléments sont essentiels pour créer un tissu économique diversifié et résilient, capable de résister aux fluctuations des marchés des matières premières.

 

Pour que Simandou 2040 ne soit pas qu'une illusion, une réforme profonde de la gouvernance du secteur minier est indispensable. Cette réforme doit inclure la transparence totale des contrats miniers, la publication régulière des revenus générés, le renforcement des mécanismes de contrôle, et la participation effective de la société civile dans le suivi des projets. La lutte contre la corruption doit devenir une priorité nationale avec le renforcement des institutions de contrôle, la protection des lanceurs d'alerte, des sanctions exemplaires contre les actes de corruption, et l'audit régulier des revenus miniers.

Les projets miniers doivent s'intégrer dans une vision plus large du développement local. Cela implique la création d'emplois locaux qualifiés, la protection effective de l'environnement, le développement des infrastructures sociales, et le soutien aux activités économiques alternatives. Les communautés locales doivent être véritablement associées aux décisions qui affectent leur environnement et leur mode de vie, et bénéficier directement des retombées économiques des projets.

Le développement durable de la Guinée nécessite une approche holistique qui va bien au-delà de l'exploitation minière. L'éducation et la formation professionnelle doivent être renforcées pour préparer la jeunesse guinéenne aux défis de demain. Les infrastructures de transport, d'énergie et de communication doivent être développées de manière équilibrée sur l'ensemble du territoire, pas uniquement pour servir les intérêts miniers. La protection de l'environnement et la préservation des écosystèmes doivent être placées au cœur des politiques de développement.

Les autorités guinéennes doivent comprendre que la vraie richesse d'une nation ne réside pas dans son sous-sol mais dans sa capacité à transformer durablement ses ressources en développement humain et économique. Sans une refonte complète de la gouvernance et une diversification économique réelle, Simandou 2040 risque de n'être qu'un nouveau chapitre dans la longue histoire des occasions manquées de la Guinée. Le pays dispose de tous les atouts pour réussir : des ressources naturelles abondantes, une population jeune et dynamique, des terres fertiles, et une position géographique stratégique.

La population guinéenne mérite mieux qu'une énième promesse de prospérité basée sur l'exploitation minière. Elle mérite une vision claire du développement, des institutions fortes et transparentes, et des opportunités économiques diversifiées. Il est temps de rompre avec le cycle de la dépendance aux ressources minières et de construire une économie véritablement diversifiée et inclusive. C'est à ce prix seulement que la Guinée pourra transformer ses richesses naturelles en véritable prospérité pour tous ses citoyens.

Le projet Simandou peut certes contribuer au développement de la Guinée, mais il ne doit pas être vu comme une solution miracle. Il doit s'intégrer dans une stratégie de développement plus large, axée sur la diversification économique, la bonne gouvernance, et le développement durable. Les leçons du passé sont claires : l'exploitation minière seule ne suffit pas à garantir le développement d'une nation. C'est dans la capacité à gérer de manière transparente et équitable les revenus miniers, tout en développant d'autres secteurs économiques, que réside la clé du succès.

L'avenir de la Guinée ne doit pas se résumer à l'exploitation de ses ressources minières. Le pays a le potentiel pour devenir un modèle de développement durable en Afrique de l'Ouest, en combinant une exploitation responsable de ses ressources naturelles avec une diversification économique réussie. Mais pour y parvenir, il faut dès maintenant poser les bases d'une gouvernance transparente et efficace, lutter sans relâche contre la corruption, et investir massivement dans les secteurs productifs non-miniers. C'est à ces conditions que Simandou 2040 pourra contribuer à une véritable transformation positive de la Guinée, plutôt que de rejoindre la longue liste des promesses non tenues du secteur minier.